Pamela Dellal, mezzo soprano

 

uncommon intelligence, imagination and textual awareness...
PDme

 

 

Histoires Naturelles: Jules Renard – Maurice Ravel

Le Paon
Il va sûrement se marier aujourd'hui.
Ce devait être pour hier.
En habit de gala, il était prêt.
Il n'attendait que sa fiancée.
Elle n'est pas venue.  Elle ne peut tarder.
Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien
et porte sur lui les riches présents d'usage.
L'amour avive l'éclat de ses couleurs
et son aigrette tremble comme une lyre.
La fiancée n'arrive pas.
Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. 
Il jette son cri diabolique:  Léon! Léon!
C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée. 
Il ne voit rien venir et personne ne répond. 
Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. 
Elles sont lasses de l'admirer. 
Il redescend dans la cour, si sûr d'être beau
qu'il est incapable de rancune. 
Son mariage sera pour demain.
Et, ne sachant que faire du reste de la journée,
il se dirige vers le perron. 
Il gravit les marches, comme des marches de temple,
d'un pas officiel. 
Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux
qui n'ont pu se détacher d'elle.
Il répète encore une fois la cérémonie.

 

The Peacock
Surely he will be married today. 
It was supposed to be yesterday. 
Dressed in his finery, he was ready. 
He was only waiting for his fiancée. 
She didn't come.  She won’t be late. 
Magnificent, he parades with the air of an Indian prince,
carrying with him the customary costly gifts. 
Love enhances the brilliance of his colors
and his crest trembles like a lyre. 
His fiancée has not arrived. 
He climbs to the top of the roof and looks towards the sun. 
He flings forth his fiendish cry:  Léon!  Léon! 
That’s what he calls his fiancée. 
He sees nothing coming and no one answers. 
The fowls, who are used to him, never even raise their heads.  They are tired of admiring him. 
He descends again into the courtyard, so sure of his beauty
that he is incapable of resentment. 
The marriage will be put off until tomorrow. 
And, not knowing what to do for the rest of the day,
he turns towards the flight of steps. 
He treads the steps like the steps of a temple,
with an dignified pace. 
He reveals his silken robe, heavy with eyes
that cannot be detached from it. 
He repeats the ceremony one more time.

Le Grillon
C'est l'heure où, las d'errer,
l'insecte nègre revient de promenade
et répare avec soin le désordre de son domaine. 
D'abord il ratisse ses étroites allées de sable.
Il fait du bran de scie qu'il ecarte au seuil de sa retraite.
Il lime la racine de cette grande herbe propre à le harceler. 
Il se repose.  Puis il remonte sa minuscule montre. 
A-t-il fini?  est-elle cassée?  Il se repose encore un peu. 
Il rentre chez lui et ferme sa porte.
Longtemps il tourne sa clef dans la serrure délicate. 
Et il écoute:  Point d'alarme dehors.
Mais il ne se trouve pas en sûreté. 
Et comme par une chaînette dont la poulie grince,
il descend jusqu'au fond de la terre. 
On n'entend plus rien. 
Dans la campagne muette, les peupliers se dressent
comme des doigts en l'air et désignent la lune

The Cricket
It is the hour when, tired of wandering,
the black insect returns from his walk
and carefully straightens the disorder of his home. 
First he rakes his narrow sandy walkways. 
He makes some sawdust which he places at the threshold.
He trims the root of that large weed about to irritate him. 
He rests.  Then he rewinds his tiny watch.
Has he finished?  Is it broken?  He rests again for a moment. 
He goes inside and shuts the door. 
For a long time he turns the key in the delicate lock. 
And he listens:  nothing alarming outside.
Yet he doesn't feel secure.
And as if by a little chain whose pulley creaks,
he lowers himself into the depths of the earth. 
Nothing more is heard. 
In the silent countryside, the poplars extend
like fingers in the air and point out the moon.

Le. Cygne
Il glisse sur le bassin, comme un traineau blanc,
de nuage en nuage. 
Car il n'a faim que des nuages floconneux
qu'il voit naître, bouger, et se perdre dans l'eau. 
C'est l'un d'eux qu'il désire. 
Il le vise du bec, et il plonge tout à coup son col vêtu de neige.
Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire. 
Il n'a rien.  Il regarde:  les nuages effarouchés ont disparu.
Il ne reste qu'un instant désabusé,
car les nuages tardent peu à revenir,
et, là-bas, où meurent les ondulations de l'eau,
en voici un qui se reforme.
Doucement, sur son léger coussin de plumes,
le cygne rame et s'approche...
Il s'épuise à pêcher de vains reflets,
et peut-être qu'il mourra, victime de cette illusion,
avant d'attraper un seul morceau de nuage.

Mais qu'est-ce que je dis? 
Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec
la vase nourrissante et ramène un ver. 
Il engraisse comme une oie.

The Swan
He glides on the lake, like a white sleigh,
from cloud to cloud. 
For he is only hungry for the fleecy clouds
that he sees emerging, expanding, and dying in the water. 
It is one of these that he desires. 
He aims his beak, and plunges, all at once, his snowy neck. 
Then, like a woman's arm from a sleeve, he draws it back. 
He has nothing.  He looks:  the startled clouds have disappeared. 
He remains disillusioned for only a moment,
As the clouds are not slow to return,
and, over there, where the ripples are dying away,
there is one forming again. 
Softly, upon his light cushion of feathers,
the swan paddles and approaches... 
He is exhausted by fishing for empty reflections
and perhaps he will die, a victim of this illusion,
without having caught a single piece of cloud. 

But what am I saying? 
Each time he plunges, he burrows his beak
in the nourishing mud and brings out a worm. 
He is fattening up lke a goose.

Le Martin-Pêcheur
Ça n'a pas mordu, ce soir,
mais je rapporte une rare émotion. 
Comme je tenais ma perche de ligne tendue,
un martin-pêcheur est venu s'y poser. 
Nous n'avons pas d'oiseau plus éclatant. 
Il semblait une grosse fleur bleue au bout d'une longue tige.
La perche pliait sour le poids. 
Je ne respirais plus,
tout fier d'être pris pour un arbre par un martin-pêcheur. 
Et je suis sûr qu'il ne s'est pas envolé de peur,
mais qu'il a cru qu'il ne faisait que passer
d'une branche à une autre.

The Kingfisher
Nothing was biting this evening,
but I bring back a rare emotion. 
As I was holding out my fishing rod,
a kingfisher came and perched on it. 
We have no bird more brilliant. 
He seemed like a big blue flower on the end of a long stalk. 
The rod bent under his weight. 
I didn’t breathe,
Proud to be mistaken for a tree by a kingfisher. 
And I am sure that he did not fly away out of fear,
but because he thought that he was merely moving
from one branch to another.

La Pintade
C'est la bossue de ma cour. 
Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse. 
Les poules ne lui disent rien:
Brusquement, elle se précipite et les harcèle. 
Puis elle baisse sa tête, penche le corps,
et de toute la vitesse de ses pattes maigres,
elle court frapper, de son bec dur,
juste au centre de la roue d'une dinde.
Cette poseuse l'agaçait. 
Ainsi, la tête bleuie, ses barbillons à vif,
cocardière, elle rage du matin au soir.
Elle se bat sans motif, peut-être parce qu'elle s'imagine
toujours qu'on se moque de se taille,
de son crâne chauve et de sa queue basse.
Et elle ne cesse de jeter un cri discordant
qui perce l'air comme une pointe.
Parfois elle quitte la cour et disparaît.
Elle laisse aux volailles pacifiques un moment de répit. 
Mais elle revient plus turbulente et plus criarde. 
Et, frénétique, elle se vautre par terre. 
Qu'a-t-elle donc? 
La sournoise fait une farce. 
Elle est allée pondre son oeuf à la campagne. 
Je peux le chercher si ça m'amuse. 
Et elle se roule dans la poussière comme une bossue.

The Guinea-Hen
She is the hunchback of my courtyard.
She thinks of nothing but fighting because of her hump. 
The fowls don’t say anything to her: 
Brusquely she sets on them and harasses them. 
Then she lowers her head, leans forward,
and with all the speed of her skinny feet,
she runs and strikes with her hard beak
right in the center of  a turkey's tail. 
This poseur provoked her. 
Thus, with her head bluish, her wattles lively,
fiercely aggressive, she rages from morning to night. 
She fights with no motive, perhaps because she is always imagining that they are laughing at her figure,
at her bald head, and at her low tail. 
And incessantly she utters her discordant cry
which pierces the air like a needle point. 
At times she leaves the yard and disappears. 
She gives the peaceful fowls a moment of respite. 
But she returns more turbulent and more peevish. 
And, in a frenzy, she wallows in the dirt. 
Whatever is the matter with her? 
The sly thing is playing a trick. 
She went to lay her egg out in the field. 
I could search for it if that amuses me.
And she rolls in the dust like a hunchback.

© Pamela Dellal